Délice d'apprendre

Quelles émotions suscitent l’apprentissage des mathématiques?

Les mathématiques en tant que discipline scolaire suscitent souvent des émotions négatives des élèves : « les maths, c’est trop dur », « je suis nul en maths, je ne comprends rien ! ». Pourtant les mathématiques sont présentes partout dans notre vie quotidienne et ne suscitent pas autant d’émotions négatives dans ce cadre-là. Qui s’est déjà dit en allant à la boulangerie acheter son pain : « c’est trop difficile de savoir combien la vendeuse me rendra de monnaie ! j’abandonne ! » ? Personne.

Moi-même, j’ai toujours aimé les maths et je n’ai jamais compris pourquoi certains pouvaient avoir une telle aversion pour cette matière. Lors de ma scolarité, je pouvais même parfois avoir honte de dire que j’aimais ça sous peine d’entendre un « Mais comment tu fais ? ».

émotions mathématiques

Les mathématiques sont clivantes

Dominique Lahanier Reuter, didacticienne des mathématiques et chercheuse au laboratoire LACES EA de l’université de Bordeaux, s’est interrogée sur les émotions et sentiments des élèves que génèrent les mathématiques. Selon la chercheuse, « les mathématiques sont clivantes du point de vue du vécu disciplinaire »[1] : on aime ou on n’aime pas les mathématiques. En s’intéressant aux témoignages des élèves qui apprécient les mathématiques, Dominique Lahanier Reuter fait le constat que pour eux les mathématiques sont un monde sécurisant fait de rituels, de routines « où l’on peut s’engager dans des défis ».

Pour ceux, au contraire, qui n’apprécient pas les mathématiques, c’est parce qu’ils se sentent « empêchés d’agir ». Pour eux, l’incompréhension du monde des mathématiques est récurrente. Les embourbant dans leurs difficultés, les mathématiques sont pour eux hostiles, leur monde inatteignable dans lequel ils n’ont rien à faire là. Les élèves entrent dans une spirale infernale : la difficulté engendrant un rejet des mathématiques, lui-même engendrant des difficultés de plus en plus importantes.

[1] Dominique Lahanier Reuter, Conférence « Emotions et sentiments en mathématiques », juin 2021

Pourquoi les mathématiques paraissent-elles si difficiles?

Existe-t-il une intelligence mathématique?

Mais alors pourquoi les mathématiques sont-elles aussi difficiles pour certains élèves ?

Très souvent, nous opposons deux camps. D’un côté, les bons en mathématiques auraient été dotés dès leur naissance de capacités de raisonnement mathématique supérieures. De l’autre côté, les nuls en maths n’auraient pas eu la chance de voir la bonne fée « mathématiques » se pencher sur leur berceau. Comme le dit David Bessis[1], « quand on demande aux adolescents américains quelle est la matière la plus difficile, les mathématiques arrivent en tête, avec 37% des réponses. C’est également de très loin la matière qu’ils détestent le plus ». La difficulté de cette matière serait donc à l’origine de ce profond dégoût : on déteste les mathématiques à cause de leur difficulté. Il y aurait donc une intelligence mathématique dont certaines personnes seraient dotées et d’autres non.

Mais nous savons aujourd’hui grâce aux sciences cognitives que notre cerveau est malléable, plastique et qu’il n’y a rien de figé dès la naissance. Dès le plus jeune âge, les bébés sont doués de capacités mathématiques. Par exemple, il a été démontré grâce à l’imagerie cérébrale que les bébés sont équipés d’une sorte de « boîte à outils » qui leur permet de percevoir et d’apprécier la numérosité[2]. Par exemple, autour de 3 mois, des bébés sont capables de reconnaitre une petite quantité d’objets en un seul coup d’œil (subitisation), d’estimer et de comparer des quantités. Stanislas Dehaene, chercheur et professeur au Collège de France, a mis en évidence la région du cerveau impliquée dans le nombre et la reconnaissance approximative des quantités : le sillon intrapariétal du cortex cérébral. Ce sens du nombre inné est d’ailleurs partagé par certains mammifères (dauphins, rats, pigeons, lions, singes) mais également par d’autres êtres humains dépourvus de système de comptage tels les Munduruku, peuple amazonien, qu’a observés l’équipe de Dehaene. Les chercheurs ont ainsi constaté que cette tribu était capable d’effectuer des calculs approximatifs, sans avoir de mots pour désigner la quantité.

Quel que soit l’individu, notre cerveau est donc bien « programmé » pour faire des mathématiques. Il faut cependant apporter une nuance à cette affirmation. En effet, pour Dehaene, si cette compétence (i.e. le sens du nombre) est défaillante, l’enfant risque de souffrir de dyscalculie : il ne pourra pas acquérir les compétences scolaires de base en mathématiques. On distinguera ainsi la grande difficulté du trouble. La dyscalculie résulte « d’une anomalie développementale circonscrite, touchant spécifiquement certaines fonctions cognitives » alors que la difficulté s’apparente à des « faibles performances en calcul en lien avec des difficultés pédagogiques ou socio-éducatives »[3]. Une dyscalculie primaire (trouble du sens du nombre) ou secondaire (liée à d’autres troubles) peut donc expliquer les difficultés en mathématiques de certains élèves. Comme tout trouble du neurodéveloppement, la dyscalculie doit faire l’objet d’un diagnostic clinique précis qui doit distinguer les difficultés (scolaire, psychoaffective, socio-éducative, pédagogique, …) et le trouble (pathologie neurodéveloppementale) c’est-à-dire une dyscalculie, trouble résistant aux actions éducatives et pédagogiques habituelles bien menées. 

1] David Bessis, Mathematica (2022), page 27

[2] Michèle Mazeau, Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l’enfant (2021), page 505

Les mathématiques n'auraient pas de sens

Revenons à ce qui nous préoccupe à savoir comprendre pourquoi les mathématiques paraissent si difficiles. Nous avons vu qu’il n’y a pas d’intelligence mathématique innée et que nous sommes tous dotés de capacités mathématiques dès la naissance. Mais alors cela pourrait-il venir d’un manque de motivation ? Les nuls en maths seraient nuls en maths parce qu’ils ne comprennent pas à quoi elles servent, qu’elles n’ont aucun sens. Encore ici, cette hypothèse ne tient pas : « est-ce que les gens pensent que l’histoire va leur servir dans leur vie tous les jours ? Ça ne la rend pas autant inintelligible, et les cours d’histoire ne plongent personne dans un état de panique. On n’a jamais vu pleurer un écolier parce qu’il n’arrive pas à comprendre ce qu’est une guerre ou une révolution »[1]. Les mathématiques ont un sens : celui de permettre de faire ses courses au supermarché, de calculer combien j’aurai besoin de farine pour faire 50 crêpes, mais également de réussir à l’école pour accéder à certaines études supérieures.

[1] David Bessis, Mathematica (2022), page 29

Les mathématiques sont difficiles... parce qu'on dit qu'elles sont difficiles

Si ni le fait que les mathématiques soient une capacité innée, ni le fait qu’elles aient du sens ne peuvent expliquer pourquoi elles sont si difficiles, l’explication est peut-être simple : les mathématiques sont difficiles parce que l’on dit qu’elles sont difficiles.

De générations en générations, il y a un a priori négatif sur les mathématiques : elles sont difficiles. Dès la maternelle, les enfants sont conditionnés et entendent que les mathématiques sont difficiles. Les professeurs des écoles qui enseignent aux tout-petits sont majoritairement issus de filières littéraires et donc peuvent sans s’en rendre compte transmettre un vécu négatif des mathématiques aux élèves.

Il plane également sur les filles un stéréotype du genre : elles sont moins bonnes en mathématiques que les garçons. Une étude a été réalisée en 2007 par Huguet et Régner auprès de 20 filles et 20 garçons de niveau collège tous en réussite en mathématiques. Lorsque l’on demande de réaliser une figure géométrique à ces enfants et qu’on leur dit qu’il s’agit d’un exercice de géométrie, les filles réussissent moins bien que les garçons. Mais lorsque l’on dit qu’il s’agit d’un exercice de dessin, les filles obtiennent des résultats meilleurs que les garçons alors que le test est rigoureusement le même dans les deux cas. 

« Dès lors, l’enveloppe émotionnelle qui normalement doit guider positivement l’intelligence, comme le démontre le neurologue Antonio Damasio, est ici orientée négativement dès le départ. »[1] Sans s’en rendre compte, notre société fabrique tout un climat anxiogène autour des mathématiques. Et les filles sont encore plus touchées puisque sous la menace du stéréotype de genre. Les mathématiques génèrent ainsi des émotions négatives : stress de performance, anxiété, peur de l’échec, …

Echec en mathématiques et émotions sont ainsi intimement liéss. Pour réussir en mathématiques, il est donc important de générer des émotions positives. Dans une interview par le magazine Le Point, Hugo Duminil-Copin, qui a reçu la médaille Fields (équivalent du prix Nobel de mathématiques) cette année, dit « ce qui fait qu’un mathématicien aime les maths, c’est la même raison que ce qui fait que les gens aiment raisonner : c’est le plaisir de jouer avec son cerveau »[2].

Pour les enfants pour qui les mathématiques sont difficiles, il est donc essentiel de retrouver le plaisir à faire des mathématiques.

[1] Houdé Olivier, Enseigner les maths après la Mission Villani-Torossian : Il faut susciter des émotions positives et donner sens aux mathématiques https://lea.fr/je-m-informe/dossiers/enseigner-maths-apres-mission-villani-torossian/il-faut-susciter-emotions-positives-donner-sens-mathematiques

[2] Duminil-Copin Hugo, dans une interview donnée au magazine Le Point en juillet 2022

 

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2 réflexions sur “Quelles émotions suscitent l’apprentissage des mathématiques?”

  1. Associer la motivation et les émotions négatives face aux mathématiques me semble juste.
    J’ai eu une fillette qui, en 5e année du primaire, disait ne pas aimer les maths et se considérer ‘ nulle ‘. et ma nièce, secrétaire et retraitée maintenant, dire la même chose.
    Dans ces 2 cas, c’est seulement l’apprentissage des fractions ordinaires qui manquait, à partir du stade concret.
    Je débutais l’apprentissage à partir de barres de chocolat, de tartes, pour expliquer le 1/4, la 1/2, le 1/3 . C’est le stade concret.
    Ensuite, par des images:, ce qu’on appelle stade semi-concret, en pédagogie.. Ensuite, le reste suit: addition, soustraction, multiplication et division.
    J’ai eu un garçon en 7e année qui avait ce manque et qui a réussi son diplôme de fin d »année avec une note de 97 %.
    Il a accepté de faire des exercices supplémentaires pour récupérer ce manque. Il maîtrisait les nombres décimaux et le reste.
    Il voulait devenir comptable.

  2. Je suis une retraitée de l’enseignement et psychopédagogue.
    J’ai vécu à l’Université Laval un échec en maths lors de mon entrée au niveau du Bacc.es Arts.
    N. B. Cela faisait 10 ans que j’avais quitté l’École Normale, et durant ces années, le contenu des cours avait évolué.

    Dans les années 1965-1970, l’Université Laval a créé une formation spéciale pour les étudiants qui n’avaient pas fait le cours classique.

    Je n’avais pas appris les maths de la 11e année scientifique. Mais je savais que les maths, c’était logique, et j’avais toujours réussi jusqu’à la 11e année générale. J’ai demandé un manuel de maths de la 11e année scientifique et j’ai récupéré ce qui me manquait.
    Ainsi, j’ai réussi mon entrée du Bacc.es Arts en faisait la reprise du cours d’été. Et j’ai continué les 2-3 années du bacc sans problème.

    Je remercie l’Université Laval qui m’a aidée à me perfectionner. J’ai continué en psychopédagogie.

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